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Carnets d'Egypte

De ma fenêtre (de bus) - Burkina Faso

25 Octobre 2014 , Rédigé par Julien V. Publié dans #Texte à thème, #Burkina, #Multiplume

Longue est la route entre Ouaga et Bobo, les deux plus grandes villes du pays. Il a bien fallu la faire, pourtant, pour assister à cette journée de rencontre entre volontaires français qui travaillent au Burkina. Alors, entre deux moments de sommeil ; on observe le défilement du paysage.

C’est d’abord la fin de la grande ville, la double voie encombrée, qui se réduit en une seule voie. C’est la pollution et la population. C’est la vie urbaine avec tout ce qu’elle comporte de pressions, d’angoisses. C’est tout le confort d’une route bien dessinée et lisse, cependant (et ça n’a guère de prix). Mais quel bonheur de s’éloigner enfin un peu plus de cette pieuvre tentaculaire qui semble vouloir vous aspirer. Vive le calme de la brousse !

La voilà, la brousse. A 30, 50, 70 kilomètres le paysage se modifie. Moins de constructions, plus d’herbages. Voilà deux semaines qu’il n’a pas plu ; deux semaines c’est assez pour sécher sur pied les herbes hautes. C‘est une lutte permanente que fait la verdure contre le soleil de plomb pour perdurer. Jaune et verte, la brousse multiplie les nuances de couleurs pour un spectacle chatoyant et inquiétant. Que restera-t-il de vert dans dix jours ? Le plateau central n’abritera plus guère que le soleil de plomb. Déjà il faut faire les foins.

Mais qui donc a mis le feu à la brousse ? Quelles nuances de rouge viennent se superposer, ici, aux jaunes et aux verts si composites ? Le vert des arbres, le jaune des herbes, le rouge des fleurs séchées. On dirait du safran dans un étal. On ne saurait dire pourquoi ce rouge imprègne les yeux. Peut-être qu’il nous rappelle la latérite du sol…

Mais non ! C’est précisément la latérite du sol. Voilà le bus qui ralentit ; nous passons un peu sur le côté du goudron (travaux obligent), sur une piste non bitumée. Et voilà que l’inexplicable prend sa source. La pluie avait le mérite de coller la terre au sol. Privée de liant, au moindre prétexte elle s’élève et couvre de poussière rouge métal les feuilles et les herbes alentours. Il suffit qu’un 4*4 passe pour avoir l’impression que la reine de cœur a fait repeindre la brousse. Et la poussière, pas mécontente de jouer les peintres, s’attache aux plantes comme un chewing gum.

Mais on avance encore, et les premières collines apparaissent. Quel plaisir pour les yeux, ça faisait un mois que je n’avais rien vu d’aussi haut. Vingt mètres, peut-être moins, mais ça paraît l’Himalaya ! Et c’est prétexte à détacher les arbres sur une pente rude qui concentrent tout ce que la terre peut produire de nuances ocrées. Ca suffit aussi pour que l’eau se concentre en petits marigots entre deux collines. Et dans la lumière déclinante du soir, la brousse reprend vie. Vers l’eau se pressent des herbes et des buissons verts fluo. A quelques mètres de là, des végétaux malchanceux, plus éloignés du liquide vital, souffrent et le montrent. Ils se rabougrissent à vue d’œil. J’ai soudain envie de me baigner dans la mare. Se tremper dans cette eau pas trop sale, pas encore saumâtre car récemment remplie, quel bonheur !

Mais le chauffeur n’entend pas mes supplications intérieures, et poursuit la route. Nous arriverons bientôt à Bobo, et nous voyons ces petites falaises où se cambrent quelques arbres, au-dessus d’un si petit précipice ! Un mètre tout au plus. Mais ces ravins qu’a creusés la pluie regorgent de couleurs. On aurait dit la palette géante d’un peintre impressionniste.

Et voilà la ville, Bobo, brodée d’inexplicables arbres bien fournis. Ils sont le reflet de ce qu’on n’arrête pas de me dire ; il pleut plus par ici, et il y fait moins chaud. Tout est relatif. Mais quoi, c’est vrai, c’est la belle route au talus vert qui nous accueille.

Du voyage de retour, j’ai moins de souvenir. Je dormais par intermittence.

J’ai ouvert les paupières à moitié en arrivant vers Boromo, à mi-parcours. Quelle ne fut pas ma surprise en apercevant cette masse sombre, la trompe élancée vers les arbres. Quel est ce mastodonte ? A quoi rime cette immense tâche au milieu de toutes ces couleurs ? Quelle est cette immense grâce, cet imposture géante qui barre la vision ? Cette tâche obscure de sa grande ombre les buissons environnants. Elle porte en elle la grâce de toute l’Afrique.

J’ouvre plus grand les yeux et ne voit plus rien.

Je l’ai rêvé cet éléphant de Boromo. Ils ne s’approcheront pas de la route avant quelques mois, quand la brousse sera tellement sèche qu’il leur faudra trouver nourriture plus proche de la rivière. C’eut été une belle rencontre que de voir un éléphant, célèbre dans ce coin du Burkina. Je referme les yeux. Je quitte la vitre pour retourner à mes rêves.

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