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Carnets d'Egypte

Stastny Novy Rok (Rencontres européennes de Taizé)

2 Février 2015 , Rédigé par Théo V. Publié dans #Prague, #Improvisation, #République Tchèque

L’arrivée avait été aussi bordélique que prévu.

Nous avons débarqué à Prague avec quelques heures de retard, sous une tempête de neige. Tempête qui ridiculisait notre rassemblement de pingouins, sur le parking Annécien[1] où nous avions attendu notre bus, quinze heures auparavant. Enfin, dans la banlieue de Prague. Les hangars de tôle aménagés en points d’accueil drainaient leur flot de jeunes triés par nationalités, et nous eûmes la première vague idée de ce que représentent réellement trente-cinq mille personnes rassemblées dans une ville de un virgule deux millions d’habitants[2].

Une seule ligne de métro pour nous tous vers le centre-ville où nous serons logés. La renonciation à mon rôle de grand frère chiant, et la résignation à essuyer les regards de Praguois lassés quand notre groupe reprend en cœur les couplets des chansons françaises, espagnoles et polonaises, paillardes ou religieuses, les plus célèbres. La perte de deux membres dudit groupe sitôt sortis de l’enfer souterrain, partis suivre une grand mère aussi anglophobe que sympathique, pendant que nous autres nous extasions devant la joliesse des bâtiments colorés au toit couvert de neige. L’attente pendant deux heures et demies par moins cinq degrés Celsius devant le point de rendez vous, enfin rassemblés, à brailler que c’est à l’arrière qu’on gueule le plus fort sous les yeux effarés des ressortissants d’autres pays. Le chemin approximatif jusqu’à l’école où nous logions, quatre douches dont deux froides pour soixante mecs – probablement dans l’unique but de laisser les plus scouts d’entre nous faire ressortir leur nature sauvage.

Le tout s’était peu à peu organisé. Nous avions commencé à bien nous entendre, inconnus quelques heures auparavant, et à nous repérer dans cette ville pas si grande. Bien sûr, on s’arrêtait pour regarder les bâtiments – il nous semblait que tout était beau dans cette ville. Bien entendu, il fallait courir pour attraper les activités et se serrer dans les trois lignes de métro[3]. Mais, nous retrouvions l’ambiance de Taizé, à vingt heures de car de la Bourgogne. Les nationalités se mixaient. L’on parlait politique, humour, cuisine, tourisme, études, avenir ; et puis, bien sûr, foi, ce qui nous avait tous traîné d’aussi loin que le Japon dans cette joyeuse anarchie. On retrouvait aussi des figures perdues depuis longtemps, à grand renfort de cris et d’embrassades. Je me souviens de sourires aux lèvres, de langues qui se délient, de gants échangés pour éviter de perdre ses doigts, de selfies même pas honteux. Et moi qui me fait engueuler parce que quand je prends les monuments en photo, je ne laisse pas aux gens le temps de poser devant…

Baragouinant quelques mots de tchèque, beaucoup d’anglais et pas mal de mélange hispano-germano-italiano-français, on se comprenait. On mangeait mal, on dormait mal, on s’amusait. On avait entre seize et trente deux ans, et on avait l’impression de partir sur un pied d’égalité. Et puis, le soir, dans les halls de banlieue à nouveau reconvertis en lieux de culte, on priait. Qui n’est jamais allé à Taizé ne peut imaginer la ferveur qui s’échappe de dix milles voix chantant quelque chose qu’elles ne comprennent pas forcément, et surtout du silence qu’elles peuvent ensuite s’imposer pendant dix (pas si) longues minutes. Qui n’est jamais allé aux rencontres européennes ne peut se représenter dix milles personnes applaudissant le courage des frères de Taizé, pérégrinant à Cuba, en Afrique, en Ukraine et nous rapportant des messages d’espoir des jeunes locaux. Et l’étrangeté de retrouver nos habitudes de jeunes étudiants, les moqueries gentilles et les discussions terres à terres dès la sortie, chacun gardant dans un coin de sa tête le moment que nous venions de partager.

Ce nouvel an restera dans les mémoires. Enfermés jusqu’à minuit dans la paroisse locale même pas chauffée, les quelques centaines qui logeaient dans l’école ou chez les familles des alentours, chantant et priant, nous prîmes un temps de silence au moment de la mi-nuit. Puis, nous sommes tombés dans les bras les uns des autres en souhaitant la bonne année en lithuanien autant qu’en français.

Au dehors, c’était l’apocalypse. Tous les types de pétard sont légaux, au pays de Vaclav Havel. La fumée emplissait les rues et les feux d’artifice étaient tirés de partout ; les gens dans les rues fumaient, buvaient, nous étions presque aussi ivres qu’eux malgré le froid. Du haut d’une colline, nous avons pu admirer toute la ville allumée et brouillardeuse, et blanche, avant d’aller partager une bière dans de vraies chopes. De retour à l’école, on a chanté et dansé sans enceintes ni fatigue jusqu’à trois heures du matin…

Comment finir ce séjour ? Nous n’avions pas envie de partir, pas envie de faire nos adieux. Nous avions retrouvé la communauté, nous nous étions faits des amis, nous avions à peine (re)vu la ville. Il a fallut se retrouver dans le car et se raconter, plus ou moins timidement, les aventures de quatre jours. Et, bon Dieu, qu’est ce qu’il y en avait, à raconter. Il y a eu le plaisir de retrouver la civilisation devant un Burger King, sur une aire d’autoroute allemande. Il y a eu les effusions, les promesses, les mails échangés.

Et puis, moi, qui partais pour six autres mois sur un autre continent, qu’est ce qu’il me restait ? Même pas l’espoir de revoir ces nouveaux potes bientôt. On a dormi une dernière fois dans une église avant de se séparer. On espérait déjà se revoir à Valence, l’année d’après. Et on ne savait pas précisément si on se sentait le cœur léger de ces journées merveilleusement irréalistes, ou lourd d’avoir à tout quitter. Mieux valait choisir la première option ; après tout, on nous avait confié un message de paix à transmettre dans nos pays respectifs…

[1] Relatif à Annecy, chef lieu et préfecture de la Haute Savoie (74). Ma métropole à moi.

[2] Prague, pas Annecy. Suivez.

[3] C’est à dire autant qu’au Caire, ville vingt-deux fois plus peuplée.

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