Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Carnets d'Egypte

Septième ciel

27 Septembre 2014 , Rédigé par Théo V. Publié dans #Improvisation, #Caire, #Egypte

Une fois passée la dernière barrière, je marche dans un long couloir. De l’autre côté des plaques de plexi, d’autres gens marchent vers d’autres avions. Nous nous côtoyons sans nous parler. Les passagers eux-mêmes, ont le visage fermé d’utilisateurs du métro parisien. Pourquoi ce stress, cette tension ? Nous nous apprêtons pourtant à partir en voyage…

Voilà que je m’étais trompé. La voilà, la dernière barrière. Je figure parmi les premiers à pouvoir donner mon passeport et le peu de ma carte d’embarquement qu’il me reste en main aux membres de l’équipage. Ils font mine de ne pas me rendre le bout de papier, se rendent compte de leur erreur ; encore heureux, mon numéro de siège est écrit dessus.

On entre dans l’avion. Il me surprend par son étroitesse, à peine quatre sièges par rangée en classe affaire, six en classe éco – la mienne ! Comme l’on traverse d’abord cette première, je suis déçu de l’inconfort qui va caractériser mon voyage, par rapport aux passagers privilégiés. Ces deux parties de l’avion, ainsi que les quartiers de l’équipage qui se trouvent en queue, ne sont séparées que par un rideau ; seuls, la cabine et les pilotes ont droit à une porte. L’équipage est dispersé dans l’avion ; ils murmurent des « bonjours » ou « hellos » à peine compréhensibles sous leur accent.

Les sièges de chaque rangée sont numérotés A, B, C, H, J, K, sans que je puisse trouver une raison aux lettres manquantes. Etant en avance, je suis évidemment au point le plus éloigné du hublot [1]. Les deux personnes suivantes, un couple Egyptien qui semble parler aussi bien français ou anglais que moi arabe [2] m’enjambent et tuent tout espoir de conversation dans un même mouvement. Autant pour la découverte de mes amis en portion. Tant que la manœuvre de décollage n’est pas amorcée, pas question d’ouvrir l’ordinateur ; on nous fait signe de relever les cache-hublots – tant pis pour les deux ou trois personnes qui entamaient déjà leur sieste – et nos tablettes, et j’allume mon Ipod dans un mépris total de la charmante dame qui s’échine sur les écrans à me mimer les gestes qui ne me sauveront de toute façon pas la vie en cas de crash.

Tout cela me rappelle brutalement Fight Club.

Enfin, on doit boucler sa ceinture, et on commence lentement à rouler.

J’apprends que nous sommes dans un Boeing sept cent quelque chose. J’ignore totalement si cette information est censée me rassurer ou m’apeurer – les appareils Américains ont-ils plus d’accidents que les Européens ?

La dame de l’écran n’a même pas fini de parler, que déjà elle est coupée par le hurlement soudain des moteurs – elle ne se départit pourtant pas de son sourire. Je coupe mon Ipod pour apprécier la puissance totale de l’engin qui fonce déjà à une vitesse pas naturelle du tout.

Tellement pas naturelle que cette masse de métal et de plastique s’arrache soudain du sol, nous plaquant sur nos sièges et faisant naître un sentiment de panique très court au creux de mon ventre, et nous amène dans le ciel suisse.

Nous avançons à une telle vitesse, et dans un tel calme pour nous (comprendre, on ne ressent pas les tournants), que je suis bien incapable de dire quel bout du Léman s’écarte déjà de nous à toute allure. Les habitations rapetissent pour finir par se confondre en une même masse blanchâtre, sur le vert et le…

Gris ?

Blanc ?

En cinq minutes, montre en main, nous avons atteint plus de huit cent kilomètres/heures, monté de plusieurs milliers de mètres et parcourut une poignée d’autre. « Démentiel », me répète mon esprit ; « est ce que l’on meurt tous si une aile se détache maintenant ? », aussi. Virant d’une aile sur l’autre, nous montons.

Quelques conversations s’engagent. Je fixe comme je peux le hublot, par dessus mes deux voisins déjà endormis ; les Alpes nous apparaissent peu à peu dans leur masse tricolore, les plaques de neiges éternelles, le gris des plus hauts sommets. Dire que j’ai tant rêvé de les parcourir à pied… les voir de si haut les rend beaucoup moins impressionnantes.

Rapidement, notre hauteur nous permet de n’apercevoir que peu de signes d’une présence humaine ; et en tout cas, aucun que cette présence est à l’ère moderne et pas à celle des premières maisons de pierre. Aucun, si ce n’est cette plaque de verre très dur (j’espère…) dans un cadre de plastique, qui me permet d’observer ce monde qui s’éloigne…

Tiens, non, l’avion s’est stabilisé.

Une odeur de viande envahit déjà l’habitacle ; en prévision, nous détachons nos ceintures. Des chariots guidés par des membres de l’équipage en uniformes parcourent déjà l’unique couloir, nous proposant journaux (en arabe) et boissons fraîches. J’abandonne l’idée d’écouter de la musique étant donné qu’ils mettent un point d’honneur à me demander à chaque fois qu’ils passent si je souhaite quelque chose. Plusieurs personnes se lèvent, vont aux toilettes, vont se parler ; un vrai ballet bordélique.

L’accent craché par le micro du pilote, lorsqu’il s’efforce de traduire ses consignes et bienvenus, est strictement incompréhensible. J’exagère à peine.

Je feuillette mon guide nouvellement acquis, regarde par le hublot. Est ce une illusion d’optique, ou vois-je bel et bien les plaines italiennes derrière la barrière montagneuse ? Impossible de le dire ; la carte en temps réel a été remplacée par un film niais sous-titré en arabe. Je finirais, dans quelques minutes, par les apercevoir pour de vrai.

Peu après qu’un bout de Méditerranée se soit dévoilé à nos yeux, les plateaux-repas sont distribués. Je demande du café ; on me fait comprendre dans un mélange de signes et de mauvais anglais qu’il arrivera plus tard. Je m’attaque à l’entrée, mélange de tomates et de fromage passable, accompagné de choux rouge insipide. Ce qui est toujours mieux que dégueulasse. Parce que, dégueulasse, c’est bien ce qu’annonce la tête du plat principal. J’aurais dû choisir le saumon, soupire-je en enfournant du bœuf filandreux accompagné de riz sec. L’herbe verte, le jardin du voisin, et caetera.

Alors que le dessert me faisait peur – une crème jaune saupoudrée de quelque chose de vert fluo (je vous jure, couleur de Stabylo) – il a un goût de citron si chimique qu’il en est presque agréable. Toutes ces petites portions à la pauvreté culinaire prévisible – et prévue – ont fini par me rassasier provisoirement. Et sur ces entrefaites, ô joie, voilà la cafetière qui arrive (portée par un brave homme, pas seule). Le café est répugnant. J’aurais dû choisir un thé.

Comme je commence à m’ennuyer (et que s’ennuyer en avion est un bon moyen d’imaginer les pires horreurs d’un crash) (et que s’ennuyer en quittant ce qu’on connaît et ceux qu’on aime est un bon moyen de chopper le cafard), j’ouvre mon ordi et relis des vieux textes, puis des récents. L’aspect pratique de la non-communicabilité avec mon voisin de droite est que je n’ai pas besoin de cacher mon écran quand je ne veux pas qu’il lise.

Mon tour d’aller aux toilettes. En patientant, je peux enfin franchement me pencher sur un hublot. Sous la mer de nuage, la Méditerranée est tranchée par une côte verdoyante – se pourrait-il… que je revois l’Egypte pour la première fois depuis sept ans ?

Je me doute que non et, le film fini, la carte de retour m’annoncera sans vergogne qu’il ne s’agissait « que » de la Crète. Probablement.

Peu avant que la nuit tombe, mon voisin me passe par dessus pour aller profiter des commodités. Je n’avais pas réalisé que j’avais déjà sorti tant de choses de mon sac ; lui non plus, vu la lueur de surprise désapprobatrice arborée par ses yeux en enjambant mon fourbi. Je reste debout, en attendant son retour. Il s’agit bien sûr du moment choisi par l’appareil pour se mettre à tanguer.

La fin du voyage, avant la descente, se prolonge en longueur. Troublée seulement par un flash blanc soudain qui me fait penser (avec une certaine inquiétude a posteriori) que nous ne sommes pas passés si loin d’un orage. Oh, et la volonté de meurtre – ou d’amputation des jambes, au moins – de ma voisine de derrière m’occupe bien sûr l’esprit avec une certaine constance. Je parviens pourtant à comater, ma musique dans les oreilles.

Lorsque nous entamons la descente, lentement (beaucoup plus lentement que la montée, ce qui provoque chez moi une certaine déception, étant donné que j’espérais que la quelqu’un oublie sa ceinture et se vautre méchamment sur le siège de devant), un gros Egyptien en uniforme me caresse les épaules pour que je relève mon siège. Promis, je m’endors plus. A ma grande déception, aucune lumière n’est visible pour l’instant[3], alors que nous survolons déjà le delta du Nil. Et soudain, à six milles mètres de hauteur, elles sont là – trouant la nuit et nous informant que cette obscurité, sous nous, est celle de l’Egypte et non celle de la mer. Bon Dieu.

J’ai envie d’étrangler mon voisin quand il pose sa tête juste devant le verre, m’obstruant la vue. J’en profite pour regarder la carte interactive. D’après elle, Cape Town est sur le point de basculer du côté « nuit » ; dans les vibrations de la carlingue, j’ai une pensée vers tous ceux (et ils sont nombreux, parmi ceux que je connais) qui sont partis faire leur 3A en Afrique du Sud. Leur rentrée si rapide, au cœur de l’été (de l’hiver pour eux ?) m’a donné envie de partir… voilà que je les rejoins ! L’excitation monte. Je tiens difficilement en place sur mon siège. Et puis on y est. La descente se fait de plus en plus par à-coups. Le tissu urbain (l’expression prend tout son sens) se déroule peu à peu, tâches de points lumineux reliées entre elles, puis une énorme continuité autour du ruban noir, noir du Nil, traversé par des ponts sur lesquels je commence à voir les phares des voitures… 20 millions d’habitants que je rejoins comme ça, sans les prévenir ni leur demander leur avis. Moi, je suis déjà amoureux.

Je suis le seul à sourire d’une oreille à l’autre, les yeux écarquillés, quand le choc des trains d’atterrissage nous informe que nous sommes en sol pharaonique. L’avion s’arrête. Je prends une inspiration. On y est.

[1] Place 34C, si vous voulez tout savoir ; mais pas question de vous dessiner un schéma.

[2] C’est à dire pauvrement, pour ceux qui ne m’avaient pas encore posé la question.

[3] Car la nuit, entre-temps, est tombée.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
P
Tu ne m'avais pas dit que tu avais une très jolie plume. Le voyage, quelle expérience magnifique, surtout après l'avoir appréhendé pendant des mois... Mal raban fi el Cairo sadiki !!
Répondre